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Marie Labat

L’espace rural est le lieu d'une relation fondamentale entre nous et la nature, la terre et le vivant. Notre nature révèle notre culture. Nos comportements disent beaucoup sur notre humanité. Nous évoluons sur un territoire, élaborons les conditions matérielles, intellectuelles afin de former un environnement propre. Notre existence passe par le développement d’activités qui modifie notre milieu. Nous prenons le contrôle, avec des outils et objets qui appliquent un modelage du "paysage" à notre image. Un pouvoir de l’Homme sur le vivant, mais celui-ci exprime, à travers ça, sa propre condition humaine. Quand les nouvelles formes de connaissances et de maitrises de la nature s’opèrent, alors la culture et les contextes sociaux sont en mouvement. 

 

Comment les contextes sociaux, culturels et l’humanité s’organisent autour de son rapport à la nature, dans une dualité et un combat permanent entre la violence qui s’opère dans la maitrise et la servitude et les nouvelles conceptions des engagements qui s’organisent pour résister. L’artiste est dans le désir incessant de comprendre comment l'humanité s’exprime dans les espaces naturels que nous investissons.

En détournant le territoire de campagne, ses objets, son paysage en mutation et ses formes en déplacement elle crée des nouvelles images où notre rapport à la nature évoque notre culture. La création est une forme à lire. Il faut déchiffrer les matériaux ou les images faites de motifs hybridés chargés de multiples références qu’elle compose pour déplacer les consciences et organiser un nouveau cheminement de la pensée. Les oeuvres de l’artistes se composent dans des assemblages d’idées, des associations de fragments aussi bien de paysage, de nature, de figures que de propos intellectuels, comme un jardin en pousse, des parties pour faire un tout. Les oeuvres ont des formes légères, ludiques, montrant du doigt notre infantilisation. Elles contrastent avec les matériaux et les images qui les composent. Le spectateur est piégé. Il doit alors désapprendre ce qu’il vient de voir, tenter une nouvelle lecture, en cela il s’ouvre à une autre compréhension du monde, porte un regard sur notre état, nuance sa conception des choses. Les travaux de Marie Labat abordent la sculpture par le détournement et l’assemblage, le dessin numérique avec des impressions sur tissu, la peinture sur différents supports ou la vidéo. Souvent, elle organise des rencontres entre ses différentes pratiques sous la forme d’installation pouvant être interactive. Les oeuvres de l’artiste peuvent être des petites productions comme des oeuvres monumentales où il est important d’intégrer le lieu et le paysage comme objet artistique. Elle aime imaginer des espaces d’exposition qui agissent et interagissent avec les lieux d’inspiration, le quotidien.

Les champs de Maldoror,

Fil de clôture agricole (blanc, bleu, jaune, rouge, vert), piquets bois, PVC transparent imprimé 100/180cm, 2018.

Voyageur qui traverse les mers, un pays, une ville; traverser une chambre, un jardin, une forêt. Les campagnes (...) dansent en tourbillons avec les arbres et avec les longues files d'oiseaux qui traversent les airs (LAUTRÉAMON, Chants Maldoror, 1869, p. 135).

L’installation est pensée sur la thématique du déplacement. Elle est faite de murs en fils de clôtures agricoles, présente sur le territoire pour délimiter les prairies. Le spectateur la visite, comme un labyrinthe, elle suggère l’idée d’un contrôle des déplacements, un parcours défini par l’autre. Chaque mur à une couleur de fil, bleu, rouge, jaune, vert, blanc. Ainsi, lorsque nous sommes à plusieurs mètres de l’oeuvre, des jeux de couleur s’opèrent et créent les couleurs secondaires. La sortie est murée par un panneau de PVC imprimé d’un dessin, d’une composition faite de lignes, d’oiseaux, de personnes se déplaçant et enjambant de multiples façons les clôtures.

Inspiré d’une phrase cité plus haut, le titre et la composition évoquent le personnage inquiétant et dur d’une série de courts récits écrits par Lautréamon, Maldoror. Il est à l’image des fils de clôture, douloureux. Mais aussi comparable aux courbes  des statistiques. Les tableaux en colonne de statistiques sont reproduits pour construire les murs de l’installation. Elles expriment les contextes des campagnes et du monde rural aux niveaux démographiques, économiques, structures publiques et présence des oiseaux. Les statistiques sont une globalisation où l’individu est absent. Comme les clôtures délimitent nos paysages, ces données organisent la gestion de nos territoires et de la population. Comme Maldoror, elles conçoivent les populations dans des possibles bien définies.

 

Les figures, prisent dans les lignes totalisantes nous rappellent à l’humain, aux personnes. Les corps en mouvement, abordant les fils comme les clôtures de nos prairies, invitent à réfléchir aux individus et aux franchissements des obstacles matériels et immatériels. Nos corps sont lourds, à la différence, les oiseaux qui se déplacent avec légèreté au-dessus des obstacles. L’oiseau compose énormément de nos mythologies, encré dans une culture collective et dans nos paysages. Aujourd’hui, il est aussi le signal de l’impact de l’homme sur son environnement par les disparitions importantes d’espèces, un rapprochement singulier.

CaDanse

Installation in situ, vidéo, 5 dessins numériques impression sur tissu 90/120cm, 2018.

L’oeuvre est in situ, créée pour une salle de traite abandonnée, suite aux déplacements des productions. La création est pensée pour la thématique de Rapprochement #3, « Déplacement ». 

 

Des images vidéo du lieu sont montées en miroir pour élaborer des motifs. Les formes faites de lignes dessinent des motifs aux accents primitifs. Ces séquences sont couplées à une masse blanche liquide ondulante sur une surface noire. Les images contrastent entre fluidité et rigidité. Le tout est rythmé par la cadence sonore incessante d'une salle de traite robotisée, le remplacement, par celle-ci de l’Homme. Mais il invite au mouvement et à la danse. 

http://marielabat.wixsite.com/marielabat/cadence

 

C’est pourquoi dans la série de dessins présentés dans le lieu, l’agriculteur prend les traits d’Israel Galvan, danseur de flamenco, dans son spectacle La Curva. Le corps du danseur est un temple qu’il fait trembler sur ses bases pour ouvrir les entrailles du flamenco, il danse le déplacement et l’évolution. J’ai utilisé l’image du danseur, dans ses  mouvements et des éléments du spectacle. Le danseur a les attributs d’un agriculteur, avec des bottes tachées de liquide blanc, référence au lait de l’ancienne laiterie et le lait comme élément de la vie et de la transmission. Le monde agricole comme le Flamenco doivent accueillir la modernité à partir de leurs racines et de leurs rites.

Les éléments présents dans les compositions sont des fragments d’images empruntés à différents contextes sociaux, contextes environnementaux ou des références à l’histoire de l’art. Ils sont assemblés par des associations d’idées et de relations pensées comme des causes à effets, partir d’un milieu et ses discutions avec le monde.

 

Les dessins imprimés sur tissu font référence aux tapisseries, leur utilisation avait pour objectif de faire une démonstration du pouvoir, l’auteur soulignait l’autorité des hôtes sur son territoire. Les décors et compositions de motifs illustrant des scènes, composent une narration. La série crée une déambulation dans l’espace et une présentation du contexte actuel. L’artiste exprime l’autorité qui s’exerce et la position du personnage, agriculteur danseur.

Résistances,

Piquets acacia, fils de clôture blanc, bois, acier,  57 m de longueur, 2018.

L’installation questionne la mondialisation et ses effets sur nos territoires. Le choix des matériaux signifie le monde rural : des piquets et des fils de clôture délimitent les prairies. Les piquets marquent leur résistance face à l’avion qui cherche à décoller. Un territoire entier peut être redéfini pour favoriser son implantation au détriment de notre ruralité, de notre patrimoine. L’avion laisse derrière lui des traces de combustible blanc qui lassèrent le ciel (fil de clôture) et qui finissent par nous clôturer.

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